Silvia Costa s’inspire de Beckett au Centre Pompidou
Silvia Costa est une nouvelle fois invitée du Festival d’Automne. Artiste protéiforme et reconnue, elle est interprète, metteure en scène, scénographe. Pour cette saison, elle propose au Centre Pompidou une création en deux temps à partir de la pièce Comédie de Samuel Beckett.
Comédie oppose trois personnages, deux femmes et un homme, morts, qui reviennent par leurs propos sur leurs tourments amoureux. Chaque personnage dont le corps est dissimulé reste enfermé dans sa propre histoire et s’exprime dans un rythme très rapide. La seconde partie, Wry smile Dry sob (sourire en coin, sanglot sans larmes), est une installation chorégraphique et sonore. Les personnages de Beckett réapparaissent dans un théâtre visuel et poétique.
Farce tragique
Après un moment d’obscurité, seuls les visages éclairés s’expriment. Il n’y a pas de dialogue entre les protagonistes qui ne s’écoutent pas et ne se rejoignent que dans la cacophonie. La lumière, par alternance, donne le tempo dans un précipité de discours parfois incohérents où l’ironie et la haine cimentent la rivalité féminine. L’homme, au centre de la scène, est pris en étau et laisse échapper son incompréhension par des hoquets. Dans tous ces monologues qui tournent dans le vide, il annonce l’absurdité de la situation par une phrase entendue dès le début de la pièce : « … non seulement tout révolu, mais comme si… jamais été. »
Les deux femmes continuent leurs plaintes. Elles se ressaisissent, se bercent d’illusions, puis tombent dans l’amertume. L’une et l’autre ont des propos virulents. Les personnages se regardent deux à deux, puis reprennent leurs monologues à bâtons rompus face au public, qui est pris à témoin. L’homme finit par fuir. « Je ne pouvais littéralement », répète-t-il. Mais chacune croit qu’il est chez sa rivale.
Dans ce flux de mots, la prise de distance paraît salutaire : « Je le sais maintenant, tout cela n’était que… comédie. » Le personnage masculin hésite encore : « Tout ceci, quand est-ce que tout ceci n’aura été que… comédie ? » Cette farce tragique renvoie à un drame vécu par Beckett. Lui-même a été pris dans un triangle amoureux, à la période où il a écrit cette pièce. Face à l’indécision et au choix impossible, le dramaturge a songé au suicide.
Comédie a été délibérément choisie par Silvia Costa qui admire l’écrivain dont elle a tout lu. Une proposition lui avait été faite de s’inscrire dans la continuité d’une œuvre, car son univers singulier peut rappeler certaines références de Beckett.
Des fragments de corps
Comédie doit se répéter à deux reprises, dans une même boucle. Silvia Costa propose un autre format. Wry smile Dry sob fait revenir les personnages de la pièce de Beckett, ils sont sans parole, submergés par leurs pensées. Le sonore est rempli par une bande-son grinçante qui s’étire à l’infini. Les trois comédiens évoluent chacun dans leurs paradigmes et composent un théâtre de gestes. L’esthétique visuelle est travaillée de façon méticuleuse par la lumière et les mouvements des personnages : des mains posées sur un visage, une démarche bancale avec un escarpin, des instants d’immobilité. Chaque femme occupe une partie du plateau – lumière chaude et lumière froide -, l’homme coincé dans son indécision va vers l’une puis revient vers l’autre ou reste seul. Dans une atmosphère étrange, des fragments de corps apparaissent : un pied, la caresse d’une jambe sur un lit, des bas sous une table ; un corps émerge d’un vieux meuble. Trois danseuses aux visages masqués et en justaucorps beiges sont désormais sur le plateau. Elles se déplacent ensemble dans un rythme lent, apportant une touche de sensualité et de beauté.
La répétition s’obstine : une femme déplie et pose des couvertures sur un lit, la seconde femme se préoccupe de photos sur un meuble – inlassablement. Les comédiens, enfermés dans un univers rétréci, forment des images à la gestuelle réfléchie. Cette autre pièce se crée avec un bruit sonore de plus en plus inconfortable. Les meubles se mettent à vaciller.
L’installation sonore a été conçue par le compositeur Nicola Ratti, avec qui Silvia Costa a collaboré sur d’autres projets. Elle est entendue de façon discrète dès la fin de Comédie pour s’imposer et occuper une place primordiale dans le dispositif Wry smile Dry sob.
La pièce de Beckett, épurée et basée sur la finesse d’un texte en apparence absurde, s’ouvre à l’imaginaire. La réinterprétation de Silvia Costa s’appuie sur de la symbolique et des effets de contraste. Tout est orchestré avec application dans ce tableau-théâtre : la lenteur qui inscrit les mouvements dans la durée, une bande-son de plus en plus manifeste, les thématiques de la répétition et de la communication impossible. Silvia Costa offre de nouvelles perspectives notamment par les arts plastiques. Mais le format de la seconde partie, marqué probablement par trop d’informations, semble produire un déséquilibre avec la pièce initiale.
Fatma Alilate
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